sábado, 19 de diciembre de 2009

L'absurdité au théâtre

Pour le nouveau théâtre qui surgit en Europe aux années 50, étiqueté comme absurde, la question du langage n’est plus la question de la communication avec autrui par l’intermédiaire du moi. Or si pour Ionesco « tout est langage au théâtre », il convient alors de se demander, quel est le rôle du langage dans ce nouveau théâtre ? Pour répondre à cette question, je me propose, d’abord, de définir la notion philosophique du langage et par la suite analyser qu’est-ce qui est langage dans ce nouveau théâtre.




Si comme Rousseau l’expose au débout de son Essai sur l’origine des langues , communiquer nos idées et sentiments est une possibilité naturelle propre à l’homme et le langage le principal moyen pour ce fin. Le langage exerce donc un rôle caractéristique dans un ensemble d’expression et de communication lié à la pensée spécifiquement humaine. C’est un accord de signes sensibles choisis arbitrairement pour exprimer notre pensée ou nos sentiments. S’il est donc un pôle d’un même dispositif, le cerveau, alors, sa crise entraîne une phase grave non seulement dans l’évolution de la communication mais aussi dans la pensée.

En effet, le théâtre de Ionesco et Beckett refuse de faire passer un message qui puisse être reçu ou compris par l’entendement. Les répétitions du langage, les énumérations, les calembours, les cacophonies ou les jeux de sonorités contribuent à produire, chez le lecteur et le spectateur, un mépris qui incite à rire et à se moquer des personnages clochards comme Vladimir et Estragon, des automates vides comme les Smith ou des vieux gâteux comme les personnages des Chaises. Toutefois on peut oser faire des analyses sur ce que le nouveau théâtre remet en cause -l’humanité toute entière -; et ainsi interroger les pièces des dramaturges pour en saisir un vouloir dire.

À propos de La Cantatrice Chauve, Martin Esslin explique que Ionesco écrivit cette pièce après avoir lu un manuel d’anglais dans lequel il découvrit des « vérités surprenantes, par exemple, qu’il y a sept jours dans la semaine…. que le plancher est en bas, le plafond en haut ». Dans cette pièce les conversations ont une logique dérisoire ; par exemple, après plusieurs déductions des « axiomes élémentaires » Mr et Mme Smith se rendent compte qu’ils sont mariés . On peut, sur ce point, de même, se rappeler de Rhinocéros et les syllogismes absurdes du logicien qui arrivait à conclure qu’un chat était un chien ; la logique pure, comme dit le vieux de Les Chaises, « n’existe pas… c’est de l’imitation ».

En outre, les catégories dramaturgiques et les procédés rhétoriques, « que des siècles de pratique avaient portés à une sorte de perfection », c'est-à-dire, l’ensemble des événements qui forment l’essentiel de la narration théâtrale, sont remplacés par des « répétitions, d’énumérations, de proverbes truqués, des jeux de sonorité, d’enchaînements absurdes de calembours ». On a, par exemple, dans la première (p.21-22) scène de la cantatrice chauve, que la répétition du nom Bobby Watson dénonce d’un part la ruine de la communication parce que , et d’autre, revalorise le rythme comme acte de communication grâce aux sonorités répétées. Ionesco montre qu’en réduisant et divisant le langage en fines particules sonores ou en faisant une succession des sons désagréables dans les paroles, la fiction et les personnages se manifestent brusquement et violemment. Ionesco utilise donc la sonorité dérisoire des paroles pour provoquer et choquer le spectateur. Par exemple, les sonorités à la fin de la pièce, ou tous parlent ou plutôt font semblant de parler, révèlent qu’il n’y a pas une structure dans la pensée des personnages, il n’y a pas un voluoir-dire. : « M.Smith : Kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes, kakatoes. Mme. Smith : Quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade… M. Martin Quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades…. ». Dans Les chaises, sur ce point, apparaît un Orateur qui chargé de communiquer le message du vieux prononce que des sons gutturaux : « Ju, gou, hou, hou. Heu, heu, gu, gou, gueu. » La contradiction, un orateur muet, manifeste donc l’échec de la parole, même si la vieille soutient le contraire : « C’est en parlant qu’on trouve les idées, les mots et puis nous, dans nos propres mots, la ville aussi, le jardin, on retrouve peut-être tout, on n’est plus orphelin » Pour montrer derechef la nullité de la parole, c’est-à-dire son inefficacité pour transmettre la pensée on peut lire les incohérences prononcées par le vieux selon une construction par juxtaposition sans mots des liaisons pour indiquer une structure, voire un rapport entre les phrases : « Je ne suis pas comme les autres, j’ai un idéal dans la vie. Je suis peut-être doué, comme tu dis, j’ai du talent, mais je n’ai pas la facilité. J’ai bien accompli mon office de maréchal de logis, j’ai toujours été à l’hauteur de la situation, honorablement

À propos des énumérations, plusieurs exemples apparaissent dans Les Chaises

Or si l’on considère, d’une part, que le langage est un instrument pour assimiler la culture de notre groupe, c'est-à-dire un système culturel pour apprendre les autres, et, d’autre part, que « les limites de mon langage signifient les limites de mon monde », alors, avec ce mélange confus des voix et la ruine de la communication, Ionesco remet en cause les limites de l’humanité qui est donc condamnée à perdre son identité comme espèce, c'est-à-dire, sa culture et son histoire.

Par la suite, dans cette pièce, que Ionesco définit comme « une tragédie du langage », le langage théâtral s’amplifie non pas avec les conversations des personnages que, comme on à déjà vu, n’ont pas une essence à saisir par le spectateur, mais grâce au décor ou aux objets que, malgré la contradiction, on ne peut pas voir dans une mise en scène ; comment représenter, par exemple, une soirée anglaise, des fauteuils anglais, une pipe anglaise, voire, un feu anglais, si ce n’est que par le langage écrit. Les didascalies, de même, avec ces nouveaux dramaturges, jouent un rôle essentiel pour amplifier le langage théâtral. À la scène IV, on lit, par exemple : « (le dialogue qui suit doit être dit d’une voix traînante, monotone, un peu chantante, nullement nuancée)». Or le dialogue, par la suite, fait connaître que les Smith sont mariés ; pour accentuer la tragédie heureuse qu’une telle surprise suscite, Ionesco explique comment doit être la voix que l’acteur doit élire. Il s’agit des sons lents et prolongés sans variations dans la tonalité et sans couleur. Or si la voix est dépositaire du sens, alors les paroles, proprement dites, devraient, dans ce cas, communiquer un sentiment tragique des personnages voire de l’humanité, c’est à nouveau la dérision !

D’autres didascalies remarquables apparaissent dans Oh les beaux jours. Winnie qui, au débout, est enterrée jusqu'aux seins, puis jusqu'au cou dans un mamelon de terre aride, se trouve de nombreuses occupations proprement expliqués dans les didascalies. On sait ainsi qu’elle essuie ses lunettes, se brosse les dents, se coiffe, met et enlève sa toque ; et tout cela, malgré sa condition. Les nombreuses indications scéniques et les réflexions, métaphysiques parfois, de Winnie servent non seulement à meubler plus ou moins son existence, mais aussi a donner un temps à ses actions, un temps déjà calculé: « Une prière inaudible, remue ses lèvres, cinq seconds ». Toutefois les didascalies ne sont pas seulement des simples indications pour le metteur en scène et l’acteur, elles forment partie du discours théâtral, du texte, voire de la narration parce qu’elles fonctionnent comme des indices. On peut par exemple lire la dernière page de En attendant Godot : « Vladimir.- Allons, on y va ? Estragon.- Allons-y. Ils ne bougent pas » Bref, elles dialoguent avec les paroles des personnages.

Tout de même, comme on verra, l’acteur doit tenir compte des didascalies et les traduire parfois littéralement comme dans Oh les beaux jours ou parfois en explicitant comme dans La leçon.



Par ailleurs, La leçon est un ensemble construit selon une suite déterminée et limitée de plusieurs états de conscience et de situations qui se nouent pour après se dénouer ou pour « finir dans un inextricable insoutenable ». Ce drame comique ne possède plus les particularités classiques de l’action théâtrale comme « l’intrigue, les traits accidentels des personnages, leurs noms, leur appartenance sociale, leur cadre historique, les raisons apparentes du conflit dramatique, voire toutes justifications, toutes explications, toute la logique du conflit ». Ce nouveau langage théâtral, en opposition au langage classique de la bienséance ou des conformités morales et vraisemblables, provoque, comme on verra par la suite, une régression des personnages à l’ordre purement organique et pulsionnel selon une construction à plusieurs mouvements qu’on pourrait comparer à une symphonie. D’abord, l’élève arrive chez le professeur et est reçue par la bonne ; les salutations pertinentes et les encouragements du professeur envers l’élève conduisent au second mouvement : la leçon d’arithmétique. La première indication scénique sert pour montrer que la scène, après le lever du rideau sera vide « assez longtemps », et, avant d’être habité par les personnages, une son et la voix de la bonne commenceront. Dans cette ouverture, où, d’abord, le spectateur est face au décor et dois alors le lire, le metteur en scène devra tenir compte des sonorités expliquées par l’auteur du fait qu’elles dramatisent l’action. Une autre didascalie qui, dans le texte, est placé après les premières paroles du professeur, explique comment devra être la tenue de l’élève et du professeur tout au long de la pièce. On sait ainsi que l’élève, au débout gaie et souriante, deviendra, au cours du drame, triste, morose et montrant une figure nerveuse. Le professeur, au contraire, laissera sa timidité pour devenir dominateur, agressif, plus nerveux et assassin. On a donc que cette didascalie indique, d’une part, au lecteur, la métamorphose des personnages qui, d’ailleurs, s’accentuera non seulement avec les soliloques d’un dément logique et les répliques monotones d’une élève, mais aussi avec les contradictions du caractère des personnages ; d’autre part, elle explique le langage gestuelle que les acteurs doivent suivre afin de traduire cette métamorphose. Or si, le geste pour Ionesco permet de « matérialiser des angoisses, des présences intérieures », c’est donc une traduction visuelle des images verbales, une traduction en images scéniques. Par exemple, l’acteur doit traduire les lueurs lubriques des yeux du professeur qui deviendront des flammes dévorantes. Pour cela, d’abord, il lit l’indication et, après, la décode afin que le spectateur puisse recevoir le message qui ne peut pas lire sur le papier : la conformité à la lettre, c'est-à-dire au texte, que l’acteur suit, doit donc montrer et expliciter sans faire appel aux mots; au dire. Avec cette didascalie, Ionesco expose que le professeur a un masque de timidité que l’acteur doit ôter pour ainsi dévoiler les pulsions qui l’animent. Lors du second mouvement, qui commence avec une intervention de la bonne et avant la leçon d’arithmétique, on se rend compte que la timidité du professeur, petit à petit, commencera à se transformer en agressivité. De même, le dialogue, que le professeur entretient avec la bonne, justifie, esquisse déjà, l’opinion avantageuse, la valeur personnelle que le professeur a de soi-même ; son importance personnelle, due à son savoir. Selon cette analyse du professeur, on sait que son importance personnelle est aussi la source de sa timidité et de son agressivité : « La Bonne : Excusez-moi, monsieur, faites attention, je vous recommande le calme. Le Professeur : Vous êtes ridicule, Marie, voyons. Ne vous inquiétez pas. » ; plus loin on a : « Le professeur : Je n’admets pas vos insinuations. Je sais parfaitement comment me conduire. Je suis assez vieux pour cela ». Par la suite, la leçon d’adition continue et puis la soustraction pour aboutir à la philologie et au pire. Or la leçon de philologie, troisième mouvement de la pièce et dénouement total des états de conscience, met l’accent sur le savoir et le pouvoir qu’émane du langage. La violence et agressivité du professeur augmentent pendant que diminue la gaieté de l’élève. Il révèle donc sa vraie nature hystérique et devient le symbole de la bestialité ; alors l’assassinat de l’élève est l’apothéose du drame comique et le couteau invisible est un symbole de l’illusion et du drame comique puisque si le couteau aurait était visible pour le spectateur, l’humour et le comique discordant de la pièce auraient perdu son langage gestuel. Le finale de la pièce ramène le spectateur au point initial de l’action : il s’agit donc d’une pièce circulaire.

Si comme j’ai déjà montré, le langage gestuel en complicité avec l’acteur doit montrer c’est-à-dire traduire en explicitant, le metteur en scène doit, à son tour faire parler le décor expliqué par l’auteur.

En effet, le décor, chez Ionesco, parle . Dans les chaises, par exemple, les deux vieux apparaissent sur une scène aux « murs circulaires » et à plusieurs portes.

Il faudrait aussi rappeler qu’il y a une totale absence d’intrigue dans les pièces de ces nouveaux dramaturges.

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